Un enjeu fondamental
Peut-on dissocier l’œuvre sociale de ses biens immobiliers ?
Un des enjeux du débat sur l’institution sociale de la rue Marchant à Metz porte sur la relation qu’il doit y avoir entre l’œuvre de l’orphelinat Saint-Joseph dont Carrefour assure la succession et le bâtiment. C’est peut-être même le nœud de tous les enjeux qui traversent la question des relations avec Caritas Moselle.
De quoi s’agit-il ?
L’œuvre dédiée à l’accueil de mineurs et de jeunes majeurs privés de tout soutien familial est- elle indissociable du bâtiment où elle s’exerce ? C’est la thèse que défend Carrefour, alors que Caritas et l’évêché privilégient la seule rentabilité financière du bâtiment au détriment de l’action sociale et éducative au profit de jeunes.
Les arguments qui plaident en faveur de l’indissociabilité de l’œuvre sociale et du bâtiment
Sur quels éléments s’appuie Carrefour pour revendiquer l’indissociabilité de l’œuvre et de son bâtiment ?
- C’est d’abord la volonté exprimée par les fonda- trices de l’œuvre de l’Orphelinat Saint-Joseph dès sa création en 1829 et que l’on trouve exprimée dans les statuts adoptés le 30 juin 1867. L’article 19 est explicite à ce sujet : « Dans le cas où l'Œuvre des Jeunes Orphelines de Saint-Joseph cesserait d'exister, les biens, meubles et immeubles, tous les capitaux lui appartenant seraient réversibles au bureau de bienfaisance de Metz, à la charge par lui d’en utiliser les revenus au profit des jeunes filles pauvres de la commune de Metz. » L’œuvre s’arrête pour une raison ou une autre, les biens et immeubles sont transférés au bureau de bienfaisance de Metz (aujourd’hui le Centre communal d’action Sociale) qui est à l’origine de l’orphelinat pour continuer l’œuvre sous une autre forme.
Cette volonté est constante dans les différentes modifications des statuts qui ont eu lieu au cours des 130 ans qui ont suivi. Elle a été interrompue par une modification des statuts intervenue en 1997 lors d’une as- semblée générale de l’association qui décida d’attribuer l’actif et le patrimoine à Caritas Moselle en cas de dissolution de l’association. Celle-ci est intervenue en 2007. On doit s’interroger sur la régularité de la modification des statuts en 1997 qui pêche par de nombreux aspects.
- C’est aussi la volonté exprimée dans la donation de l’abbé Braye qui également rappelle l’indissociabilité de l’œuvre et de l’immeuble. Cette donation a servi à recueillir les dons faits par les Messins aux dames de charité de l’orphelinat Saint-Joseph pour l’achat du bâtiment de la rue Marchant. Mais comme à cette époque les femmes n’avaient pas de personnalité juridique, c’est un homme, le directeur de l’orphelinat, l’abbé Braye, qui a signé devant notaire l’acte de donation.
La donation est faite à charge de consacrer la maison faisant l’objet de la présente donation au siège de l’orphelinat de Saint-Joseph et sous l’exécution des statuts. Il y a donc bien là l’expression de l’indissociabilité de l’œuvre et de son bâtiment. La donation re- prend également l’article 19 des statuts originaux de l’œuvre, à savoir qu’en cas de dissolution le patri- moine immobilier est reversé au bureau de bienfaisance de la ville.
Si l’assemblée générale de l’association de l’orphelinat, alors aux mains de l’évêché et de Caritas, a pu modifier les statuts en sa faveur, elle n’a pas pu modifier la donation de l’abbé Braye qui s’impose encore aujourd’hui.
L’administration française se prononce également pour l’indissociabilité œuvre-immobilier
L’administration française a également fait le choix de l’indissociabilité d’une œuvre sociale et de son patrimoine, dès lors que celle-ci est financée par des fonds publics, ce qui a été le cas de l’association Saint-Joseph, de l’orphelinat et de sa poursuite par Carrefour.
Par une lettre du 22 juillet 2008 relative au transfert de gestion d’établissements et services sociaux et médico- sociaux d’une association vers une autre, la Directrice générale de l’action sociale, intervenant au nom du ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, rappelle un point important du Code de l’action sociale et de la Famille (article R. 314-97 du CASF) :
« Une association gestionnaire d’un établissement social et médico-social dont le patrimoine a été entretenu, rénové et valorisé grâce aux produits de la tarification doit transférer ledit patrimoine en même temps que l’autorisa- tion de fonctionner de son établissement et ce, indépendamment du fait qu’elle ait pu faire des apports sur ses fonds propres lors de la création dudit établissement .» (Référence ici)
Par ailleurs, la réglementation est précise sur l’affectation des dons défiscalisés que peuvent faire des particuliers ou des entreprises. Ces dons aux œuvres d’utilité sociale permettent d’obtenir une déduction fiscale soit pour le fonctionnement, soit pour l’investissement dans des biens immobiliers. Cette aide publique oblige le gestionnaire de l’œuvre à maintenir celle-ci dans son objet et sa finalité qui ont motivé les dons, tout en continuant d’utiliser les biens immobiliers uniquement au profit de l’œuvre. Aucune transformation de l’objet social de l’association n’est possible, toute spéculation immobilière est interdite. L’ajustement des biens et moyens matériels doit être en permanence adapté au projet associatif. Ce rappel vaut aussi pour la donation de l’abbé Braye qui marque les fondements de la propriété immobilière de l’orphelinat Saint-Joseph. Sa logique se retrouve à l’identique dans l’affectation et le suivi des subventions publiques d’investissement.
Il ne faut pas oublier que les travaux engagés par l’association Carrefour pour la rénovation de l’immeuble de la rue Marchant (7,2 millions d’euros - valeur 2020) ont été financés pour 45 % par des collectivités publiques (CAF 20 %, Conseil général 14 %, État 9 %, Ville de Metz 1 %, Centre Logement 1 %). Les 55 % restants ont fait l’objet d’un emprunt. Le montant des travaux à la charge directe de Carrefour fait l’objet d’un amortissement annuel payé par les dotations de l’État et du Conseil départemental.
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Le mauvais contre-argument avancé par Caritas et l’évêché
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Pour justifier sa volonté de dissocier l’œuvre du bâtiment dans un esprit purement mercantile, Caritas prend l’exemple de la MECS Les Bacelles gérée par le CMSEA, rue Saint-Ferroy, juste à côté de la rue Marchant. Cet immeuble faisait partie intégrante de l’orphelinat Saint- Joseph.
En 1972, pour faire face à des difficultés financières, l’association Saint-Joseph, encore gestionnaire de l’œuvre de l’orphelinat, décide de louer une partie de son im- meuble de la rue Marchant (côté rue Saint-Ferroy) à l’association CMSEA pour y créer un nouvel établissement d’hébergement social (maison d’enfants à caractère so- cial). Cette nouvelle institution, créée ex-nihilo, n’a rien à voir avec l’orphelinat Saint-Joseph. Le CMSEA a utilisé une opportunité locative, mais il aurait très bien pu créer cet établissement ailleurs dans le département.
Cette location avait pour but de générer des ressources pour l’orphelinat. Les sommes ainsi récoltées venaient en atténuation de ses dépenses dans le calcul du prix de journée payé alors par la DDASS de la Moselle, comme le veut la comptabilité des établissements sociaux financés par les pouvoirs publics. En confiant la continuation de l’œuvre à Carrefour, en 1977, la DDASS et le Conseil général ont reconduit à l’identique le prix de journée alors accordé à l’association Saint-Joseph, sans évoquer les recettes en atténuation qui auraient dû revenir au nouveau gestionnaire, selon les principes de bonne gestion des établissements sociaux.
Par contre, la dévolution de l’œuvre et des compétences (habilitations, résidentes, personnel, budget, dettes, prix de journée calculé avec du personnel religieux, etc.) de l’orphelinat Saint-Joseph à l’association Carrefour con- cerne bien une continuité de fonctionnement de l’œuvre et de l’établissement.